mardi 15 août 2017

Pour l'amour des grosses machines à swing...

Et pour le grand éclair 
D’un orchestre d’enfer
Qui éclate en plein ciel
Aussi chaud qu’un soleil
Moi j’ai le Cœur qui Jazze...

Ce billet est dédié à mon ami Roland Seiller qui nous a quittés il y a tout juste un an et avec lequel  j’ai partagé  tant de fabuleuses expériences de jazz en direct et en particulier lors du Festival de Big Bands de Pertuis auquel nous nous faisions une joie d’assister tous les ans au mois d’août. 



Le Big Band de Pertuis avec Alice Martinez

Nous y avons écouté ensemble tout ce qui se fait de mieux dans le genre sur la scène du jazz français, dont Gérard Badini, Philippe Laudet, Michel Pastre, Laurent Mignard et jusqu’au formidable Brussels Jazz Orchestra avec Philippe Catherine.


Cassiopée/Sagittarius A
par le Jazz Odyssey de Philippe Laudet

Le titre de mon  dernier billet du Cœur qui Jazze aura pu surprendre. 

Qualifier un concert de jazz en grande formation   d’ « expérience  existentielle sans égale »,  ne serait-ce pas un peu forcer le trait et surévaluer un style de musique devenu désuet, somme toute mineur et en tout cas minoritaire à l’heure des playlists Spotify d’une banalité et d’un conformisme effroyables ? 

Le Savoy Ballroom, temple de la danse 
et du Lindy Hop dans les années 20

Il est un fait que ces grosses machines, apparues dans un contexte de danse et de divertissement  dans une Amérique se relevant du traumatisme de deux guerres, ne pourront  jamais tout à fait se soustraire pour les ignorants et les sourds d'oreille au soupçon de facilité et  de futilité sinon de commercialisme, dans des relations incestueuses avec ce que l’on nomme là-bas l’entertainment et ici la variété et le showbiz.


Count Basie et Frank Sinatra

Qui serait pourtant assez stupide aujourd’hui pour affirmer  que le jazz  en grande formation ne serait que la version diluée et abâtardie,  pour tout dire commerciale,  de celle, noble et jouissant d’un certificat d’authenticité d’un jazz en petite formation  à l'instrumentation resserrée ? Il en représente au contraire la quintessence, pour reprendre le titre d’une composition de ce maître du genre qu’est Quincy Jones.

Quincy Jones Big Band

Au même  titre que le prestigieux orchestre symphonique se situe tout en haut de la hiérarchie des configurations instrumentales en musique classique,  même s’il en existe de plus élitistes, telles le  trio pour cordes et piano ou le quatuor à cordes,  le grand orchestre de jazz constitue le fleuron emblématique de ce qu’il est à présent convenu d’appeler la grande musique classique nord-américaine.

Jimmy Lunceford: Rythm is Our Business

Ici,  les authentiques génies qui en marquèrent l’histoire s’appellent Jimmy Lunceford, Duke Ellington, Count Basie,  et plus près de nous Quincy Jones et Gil Evans pour n’en citer que quelques-uns. Le travail de l’écriture y est prépondérant et ce sont ces hommes de l’ombre, les arrangeurs tels Billy Strayhorn pour le Duke, Benny Carter, Neal Hefti et Sammy Nestico pour le Count, Marty Paich ou Bill Holman pour eux-mêmes, qui détiennent le pouvoir d’en déployer  les fastes sonores et les couleurs chatoyantes. 


Count Basie accompagne Frank Sinatra

Il est notoire qu’avant que la vague pop-rock ne déferle sur l’Amérique et le monde entier, la musique des Big Bands, venue des Ballrooms où elle avait pour fonction de divertir et faire danser, s’entendait partout. Elle  était au spectacle, au cinéma, à Hollywood, à Broadway. Elle fut même enrôlée pour soutenir le moral des troupes constituant pour nombre de musiciens un important sinon exclusif débouché. 

Depuis elle cristallise tout un imaginaire  où se retrouveraient péle mêle les robes longues des danseuses dans les grands hôtels, au bras d’hommes en smoking, les ambiances urbaines nocturnes des films où se poursuivent détectives et criminels, les shows pailletés des casinos de Las Vegas, les crooners dans les projecteurs à  la Frank Sinatra.  Quoi de plus emblématique à cet égard que le final de Liza Minelli dans le New York, New York de Martin  Scorsese ? 

Naked City Theme et Street of Dreams:
arrangement de Nelson Riddle

Comme l’a rappelé François Laudet sur la scène du Festival de Big Bands de Pertuis entre deux morceaux du répertoire de sa formation, il fut un temps aujourd'hui révolu où l’orchestre de Buddy Rich se produisait régulièrement dans les émissions de la télévision américaine. Dans les années soixante, une partie  notoire de la crème du jazz français de l’époque pouvait  se retrouver dans les rangs de l’orchestre de Pierre Porte chargé d’accompagner le show dans les émissions de Maritie et Gilbert Carpentier.


Buddy Rich dans le Johnny Carson's Show

On se doute fort bien qu’assurer la pérennité du genre à notre époque ne doit pas être une mince affaire sur le plan économique, sans même parler de la somme de travail, de répétitions et d’organisation pesant sur le leader et ses musiciens. 

Heureusement et pour le plus grand bonheur de ceux qui comme moi l’apprécient particulièrement, la tradition des grandes machines à swing perdure et sait rencontrer son public. On se souvient de  Claude Bolling ou plus récemment de Michel Leeb qui, profitant de  sa notoriété d’humoriste contribua à populariser le genre, un peu comme le fit au cinéma Jerry Lewis avec son  désopilant playback sur le « Blues in Hoss Flat »  de Count Basie.

Jerry Lewis: Blues in Hoss Flat

On n’imaginerait pas aujourd’hui, à la télévision, la prestation de telle ou telle icône  de la chanson française sans que ne lui soit déroulé, pour l’accompagner en direct, le luxueux tapis d’une grande formation. Ceci est même, pour la plupart d'entre elles, devenu un brevet de qualité et de sophistication.

Si je  devais en  faire l’inventaire, mes souvenirs les plus marquants d’émotions musicales auraient toujours quelque chose à voir avec les grands orchestres, que ce soit celui de Duke Ellington  avec ses chaussettes violettes attaquant « Take The A Train » à l’auditorium de la MJC de Grenoble, celui du Kenny Clarke Francy Boland Big Band à Chaillot ou bien le fabuleux Thad Jones Mel Lewis Big Band à la Maison de la Radio,  au moment où toute la section des saxes, emmenée par Jérôme Richardson, se lève et démarre le somptueux unisson de « Groove Merchant ». 


Thad Jones Mel Lewis Big Band:
The Groove Merchant

Mon ami Roland aurait eu, j’en suis sûr, un large sourire en écoutant cette année le Big Band de François Laudet. Son fils William de onze ans, ainsi que sa sœur Marie, avaient le même à la fin du concert. À l’heure où leurs potes écoutent du mauvais rap, ils viennent de découvrir Buddy Rich, dont ils ont regardé en boucle sur YouTube les vidéos dès le lendemain. William a même  dit « il n'est pas humain  pour jouer aussi vite ». À la rentrée il commence la batterie et dira à sa prof en lui montrant le CD dédicacé par  François Laudet,  « C'est comme ça que je veux jouer » .

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